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Le premier paysan qui délaissait son champ ne manquait jamais de moquer le second paysan qui, à ses yeux, s’échinait en vain.
Un jour de canicule, sur la place du village, alors que le soleil brûlait à nouveau tout espoir de récolte, le premier paysan interpella publiquement le second.
-Quel idiot fais-tu ! Tu uses tes forces et ta vie pour rien. Tu sèmes encore et toujours. Ta terre est une épouse stérile, et tu fermes ta raison devant sa triste impossibilité à te combler. Ni blé, ni orge, ni houblon. Il n’y poussera plus rien. Acceptes-en l’augure.
Un long silence s'installa après cette harangue. Chaque villageois attendait la réponse du second paysan.
Alors, celui que l’on savait aussi taciturne qu'obstiné prit enfin le temps de la parole.
- Je n’ai certes aucune emprise sur la fureur du vent, sur les colères du ciel, sur la démesure du soleil, et bien peu sur la voracité des insectes. Mais je sais que ma terre est bonne et généreuse. J’ai vu mon père, et avant lui son père, recevoir ses dons.
Hier, c'est, en observant mes aïeux rire de l’abondance ou pleurer sur une misère passagère, que j’ai choisi de mettre mes pas dans les leurs.
Aujourd’hui, c’est en me voyant cultiver cette même terre, tandis qu’elle est en souffrance, que mes enfants peuvent décider de poser leurs pas dans les miens. Pas nécessairement avec la volonté de faire le même métier que moi. Ce n’est pas la continuité qui est importante, mais l’exemple.
Comme moi, ils rencontreront dans leur vie des obstacles, des moments de solitude, des envies d’abandonner, mais s’ils gardent dans un coin de leur esprit l’idée d’un futur possible, même dans l'adversité, alors ma sueur aura été utile.
Tu me dis idiot. Mais qui est idiot ? Est-celui celui qui sourit en imaginant la prochaine récolte ou est-ce celui qui ne cesse de pleurer sur lui-même ?
Tu crois que je sème du blé, de l’orge, ou du houblon ?
Tu te trompes.
Ce que je sème, c’est de l’espoir.
©Dominique Brynaert. Décembre 2020