Un jeune lutin des contrées du Nord arriva le Premier de l’an dans un village des contrées du Sud. Il n’y connaissait personne et s’étonna que tous ceux qu’ils croisaient lui fissent le souhait « d'une bonne année ».
C’était là une coutume qu’il ne connaissait pas, car dans son village natal, les lutins du Nord ne prêtaient attention qu’aux quatre saisons. Aux premières fleurs, ils se souhaitaient un printemps embaumé, aux premiers fruits un été productif, aux premières feuilles tombées un automne élégant et aux premières neiges un hiver raffermissant.
Ignorant donc le concept d’année, il s’imagina que c’était là une manière cordiale et sensible de se saluer. Voulant s’intégrer dans son nouveau village, il s’engagea à souhaiter « une bonne année » à chacun, à chaque rencontre. À partir du troisième mois de l’année, il était tenu pour certain qu’il était fou. On ne souhaite pas une bonne année en mars !
Personne ne prit la peine de lui dire jusqu’au moment où un vieux lutin qui ne goûtait guère les moqueries à l’encontre du nouveau venu l’interrogea :
-Mais pourquoi donc souhaites-tu encore la bonne année ? Ce moment est révolu. Quelques jours suffisent pour ces vœux. On te croit l’esprit dérangé par ce simple fait.
-Ce que tu m’apprends me consterne, répondit le jeune lutin. Je croyais que c’était là une tradition établie. Tradition que je trouvais fort jolie d’ailleurs.
-Notre coutume, ici au Sud, est de souhaiter la bonne année uniquement le jours du premier mois de l’année nouvelle, expliqua le vieux lutin. Après cela on n’y pense plus.
Le jeune lutin fronça les sourcils.
-Combien de mois avez-vous dans votre année ?
-Douze.
-Mais, interrogea le jeune lutin, si l’on veut sincèrement le meilleur pour les autres pourquoi se restreindre à un seul mois ? Pourquoi économiser nos élans cordiaux et sincères ? Est-il insensé de répéter, chaque jour, à ceux qui croisent notre regard que nous les apprécions assez pour leur souhaiter un bonheur durant douze mois ?
Surpris, le vieux lutin, qui se croyait sage parmi les sages, resta sans réponse. Ce garçon n’est pas fou, se dit-il, en le voyant s’éloigner. C’est peut-être nous qui le sommes et n’avons rien compris.
Dominique Brynaert. décembre 2022