Sans attendre qu’on le prie de s’asseoir, l’homme s’installe dans un fauteuil de velours bleu qui fait face au bureau du bourgmestre. Il croise les jambes et se met à détailler du regard la magnifique décoration des lieux.
– Vous avez demandé à me voir ? interroge Anspach, qui espère en finir vite.
– Je serai direct, Monsieur le Bourgmestre. Vous êtes un homme de pouvoir. À ce titre, je présume que vous n’aimez guère que l’on vous tienne tête. Vous en conviendrez, les ignorants et les imbéciles sont toujours une source de perte de temps. Aussi, suis-je venu vous offrir un moyen d’imposer vos vues.
– Et quelle est donc cette solution à laquelle je n’aurais jamais pensé moi-même ? raille le politicien.
– Une faculté. Plus précisément un don. Un don magique qui empêche vos interlocuteurs de vous répondre « non ». Je n’ignore pas vos ambitions. Vous êtes un homme plein de ressources mais vos contradicteurs sont puissants et déterminés. Imaginez combien d’obstacles franchis allègrement grâce à une invincible capacité de persuasion.
L’assurance de ce personnage singulier, ses déclarations délirantes, intriguent et amusent Anspach. Il décide de ne pas couper cours à la conversation.
– Cher Monsieur, enchaîne-t-il, vous imaginez bien qu’il est un peu difficile de vous prendre au sérieux. Mais, en admettant que vous puissiez vraiment m’offrir cette aptitude à convaincre sans batailler, quel est votre intérêt dans l’affaire ?
Lentement, le bonhomme décroise les jambes.
– Votre vision pour faire de Bruxelles une capitale digne de ce nom est louable. Cependant, vous avez un projet qui me désole. Celui du voûtement de la Senne. J’avoue avoir une certaine affection pour cette rivière qui donne à la ville un charme particulier. L’enterrer serait, de mon point de vue, une erreur dramatique, sinon historique. J’aimerais, monsieur le Bourgmestre, que vous renonciez à ce projet.
– La Senne, Monsieur, réplique sèchement Anspach, fait le malheur des bruxellois. Votre vision romantique est très éloignée de la réalité. La Senne charrie la mort ! Et ce sont les plus démunis qui en sont les premières victimes.
– Il faut bien mourir de quelque chose, n’est-ce pas ? ironise l’homme, en affichant un petit rictus. Je ne m’attendais évidemment pas à ce que ma demande rencontre d’emblée votre assentiment. Ce n’est pas grave. Vous êtes un homme sympathique. Voici ce que je vous propose. Je vous attribue cette faculté jusqu’à demain midi. Le temps pour vous d’en apprécier l’intérêt et l’usage. Je reviendrai alors vous voir et nous reprendrons notre discussion.