Le conte est un couteau suisse.
L’idée que le conte est uniquement un outil d’éveil et de poésie à la seule destination des enfants a la vie dure.
Le conte merveilleux n’est pourtant qu’une facette parmi tant d’autres. Le conte populaire, qui témoigne de la vie sociale et orale a toujours existé à ses côtés.
Mais, en à peine un peu plus siècle, notre monde a connu des mutations jusque là inégalées et surtout d’une grande rapidité.
Les veillées autour du feu entre adultes ont disparu avec la migration des populations vers les villes, avec l’avènement d’une société du Tout-à-l’image. La télévision s’est imposée comme seule compagne de soirée, comme grande détentrice d’histoires à nous raconter. Ainsi ringardisé, le conte populaire a-t-il failli disparaître à jamais.
Il a survécu, mais est resté longtemps placé dans une sorte de « réserve indienne » dont il commence à sortir.
Pour cela, il lui a fallu se réinventer, occuper de nouveaux espaces, frayer avec d’autres disciplines artistiques, s’ouvrir à de nouveaux sujets de sociétés et se convaincre que sa fragilité, sa simplicité, son humanité pourrait redevenir une force le jour où le monde sera en overdose de superficialité.
En se renouvelant, le conte est devenu une sorte de couteau suisse.
Il est à usage multifonctionnel. Il sert à divertir, à prévenir, à guérir, à apprendre, à comprendre. Il côtoie la philosophie, l’Histoire, la psychologie, la sociologie… Il investit tous les Arts du spectacle, les entreprises, les hôpitaux, les homes, les écoles, les lieux de patrimoine, les cimetières… Le conte trouve sa place partout.
En ce nouveau siècle, troublé par la désespérante montée des intolérances, par les appels à la haine, par le rejet de l’autre, il a aussi plus que jamais un rôle dans la défense de valeurs humanistes. Aujourd’hui le conte ne peut s’exclure de l’engagement politique, social, sociétal. Il doit continuer à ouvrir les esprits tandis que d’autres s’ingénient à les fermer.
Le conte est donc un outil infiniment moderne. Qui a prouvé sa capacité d’adaptation mais qui pourtant n’arrive toujours pas à trouver la place médiatique qui lui revient aujourd’hui ? Que lui manque t-il donc ?
Est-ce le mot « conte » lui-même qui est trop poussiéreux ?
Faut-il sacrifier à la mode des changements d’appellation telle la poésie qui s’est transfigurée en « slam » ?
Doit-on provoquer une scission radicale entre le conte pour enfants et le conte pour adultes en déclarant qu’il s’agit de disciplines différentes n’ayant désormais plus rien à voir entre elles ?
Faut-il professionnaliser le monde du conte à outrance pour asseoir vis-à-vis de l'extérieur une crédibilité à toute épreuve ?
Ces questions existent aujourd’hui et ont le mérite d’exister.
Elles témoignent chez les conteurs qui s'en emparent de la conscience que l’immobilisme dans leur discipline peut, un jour, lui être fatal.
PS : Pour l’anecdote, on retiendra que sur le fameux couteau suisse, on trouve désormais une clef usb.