Le conteur, un rêveur éveillé.
Au détour d’une scène ouverte, d’un spectacle, il nous est arrivé à tous, nous autres conteurs, de devoir répondre à cette question d'un spectateur : que dois-je faire si je veux devenir, moi aussi, conteur (ou conteuse) ?
Avant même d’entamer le moindre débat interminable sur la pertinence d’une formation longue et encadrée, sur l’utilité de stages courts et répétés ou encore sur le choix raisonné de l’autodidactisme, j’ai toujours envie de répondre par une autre question : combien de fois par semaine prenez-vous le temps de rêver ?
Bien sûr, comme pour toute discipline artistique, il existe des techniques qu’il est bon d’acquérir pour que sa prestation contée soit la plus réussie possible. Techniques de présence sur scène, d’usage de la voix, etc. Mais au final ce que l’on retiendra toujours et avant tout, c’est l’émotion que l'histoire apporte.
Or, celle-ci ne peut être fabriquée, au risque d’apparaître comme une vulgaire contrefaçon de sentiments.
Et si l’émotion trouve sa source première dans nos désirs, nos échecs, dans des souvenirs heureux ou douloureux, elle se nourrit aussi des sons entendus, des odeurs perçues, des impressions ressenties, de ces mille détails que nous emmagasinons, avec ou sans conscience.
Nous sommes, en fait, propriétaires d’une véritable salle aux trésors !
Celle de nos mémoires.
Ce qui nous permet de donner à nos personnages la vraisemblance nécessaire pour que les spectateurs tremblent devant leur terrible destin ou rient de leurs mésaventures, c’est notre faculté à pénétrer dans cette salle et de s’y servir.
Mais pour certains, la clef de la salle du trésor n’est pas toujours à disposition. La serrure coince, la porte se bloque.
Comment faire alors pour que cela n'arrive pas ?
Il faudrait s’offrir chaque jour entre dix et quinze minutes de flâneries de l’esprit.
Accepter volontairement de se déconnecter régulièrement du quotidien qui nous impose d’agir, d’être tout le temps en mouvement pour obtenir ou ne pas perdre quelque chose et prendre le temps.
Prendre le temps de s’asseoir sur un banc, regarder par la fenêtre ou, si l’on a plus de loisirs, se coucher dans un hamac au jardin ou se glisser dans l’eau chaude d’un bain aux vapeurs décontractantes.
Il ne s’agit non pas d’être absolument à l’affût de quelque chose mais plutôt de se mettre, un moment, dans un état de disponibilité émotionnelle.
Devenir en quelque sorte un rêveur éveillé.
On est surpris alors de voir comment notre esprit se met à gambader tel un jeune chien fou.
Des souvenirs, des fragments d’idées émergent avec une facilité déconcertante, des solutions à des récits en cours de préparation se présentent tout naturellement, des personnages apparaissent sous nos yeux avec des traits de caractère évidents, leurs dialogues se construisent avec une simplicité qui nous ébahit.
Ce qui nous semblait douloureux à créer devient facile. Notre salle au trésor a ouvert ses portes et est même devenue une immense salle de jeux.
Mais sachez-le, on n’apprend pas à devenir à un rêveur. Puisque, par chance, la faculté est innée.
Par contre, il faut s’autoriser à l’être…
Ce qui n’est pas simple dans une société où l’on nous encourage à l’action plutôt qu’à la rêverie.
J’en suis persuadé, les plus grands conteurs sont tous, en fait, de grands rêveurs décomplexés.
Dominique Brynaert