En dépit des efforts entrepris depuis de nombreuses années, l’art du conte reste toujours une discipline artistique mal connue, à la fois du « grand public », mais aussi des professionnels des arts du spectacle, des organisateurs et des pouvoirs publics subsidiant.
Quant à ceux qui le servent, les conteurs, leur manque de reconnaissance, ou tout simplement la méconnaissance de ce qu’ils sont et font, est une évidence vécue au quotidien.
Il faut ainsi, par exemple, avoir vécu l’expérience irritante, lors d’un engagement par un organisateur peu éclairé, de se retrouver relégué dans un espace absolument inconfortable pour exercer son art. De préférence à vingt mètres seulement d’une sono bruyante et assommante…
Le mot « conte », lui-même, inquiète certains responsables culturels, qui n’hésitent pas à demander au conteur de ne pas l’utiliser dans l’intitulé de son spectacle, par crainte d’effaroucher le public potentiel. Ce sont les mêmes organisateurs de spectacles, ou directeurs de centre culturel, qui lui recommandent de nourrir sa prestation d’autres disciplines artistiques : musicale, chorégraphique, vidéos - parfois superflues - avec un sérieux travail de mise en scène, persuadés que la seule pratique orale du conte est insuffisante pour séduire le spectateur.
Nous l’avons déjà précédemment écrit, la juste rémunération du conteur est, elle aussi, source de problème. Alors que l’on ne s’étonne guère du cachet parfois élevé d’un comédien professionnel, on voudrait que celui de l’artiste conteur s’aligne sur celui pratiqué par un sculpteur de ballon ou d’un « Père Noël de service ».
Mais pourquoi un tel ostracisme ?
Sans doute est-ce lié, d’abord, à la pratique historique du conte. On l’a longtemps trouvé dans la rue, chez soi autour du feu, dans les bibliothèques, dans les écoles, avant que l’on envisage de le mettre, enfin, sur une vraie scène.
Ainsi, en Belgique, il aura fallu attendre les années 80 pour que quelques pionniers, tels Joël Smet ou Myriam Mallié (entre-autres), donnent à l’activité contée ses lettres de noblesse, en offrant au public de véritables prestations scéniques à dimension professionnelle.
Mais quelques décennies plus tard, même si des portes se sont depuis ouvertes, la discipline du conte reste toujours marginalisée dans l’ensemble des secteurs du spectacle.
Ni comédien, ni artiste de rue, le conteur a toutes les difficultés à trouver sa place.
Paradoxalement, alors que le conte existe depuis des siècles, cet art reste vu, au pire comme un art mineur, au mieux comme un art éternellement émergent.
La seconde raison à cette marginalisation est probablement que l’art du conte n’a toujours pas pris place dans le train de la médiatisation, devenue indispensable aujourd’hui pour exister.
Le conte n’existe pas dans les médias. Les journalistes s’y intéressent peu et la télévision – dont la mission culturelle s’appauvrit toujours plus - ignore superbement la discipline, plus par méconnaissance que par mépris.
Dès lors, faute de médiatisation, il n’existe pas de "conteurs vedettes" pouvant attirer l’attention sur la discipline !
Seuls quelques noms comme celui d’Henri Gougaud en France ou de Fred Pellerin au Québec ont fini par s’imposer au-delà du seul cénacle des conteurs et du public avertis.
Alors, à l’ère du « Tout à l’image », les conteurs peuvent-ils encore faire l’économie d’un investissement volontariste au niveau médiatique. Les outils existent. A côté de la télévision, de la radio, il y a le web, les réseaux sociaux, youtube….
Ne dit-on pas que « ce n’est pas tout d’avoir un savoir-faire encore faut-il le faire savoir » !
Toutefois, cela suppose pour nombre de conteurs de se faire violence.
Car l’art du conte n’est-il pas d’abord un art d’artisan ? Un art de la parole sans artifices, de la rencontre humaine dans un cadre à l’intimité choisie pour favoriser l’échange. Un art qui ne peut se satisfaire du monde de l’image dont on sait qu'il ne peut traduire qu' imparfaitement toute la magie de cet échange.
Voilà tout le paradoxe. Le conteur doit être vu du plus grand nombre pour bénéficier d’une véritable reconnaissance et jouir pleinement de son statut et, en même temps, ne veut pas être pris dans l’engrenage d’une médiatisation qui risquerait de l’éloigner de l’essence même de sa pratique professionnelle.
Situation schizophrénique s’il en est….
Mais, à moins de continuer à accepter, de longues années durant, d’exercer sans véritable considération, peut-il refuser plus longtemps d’utiliser les outils de communication qui sont à sa portée et qui peuvent lui permettre à lui et à l’art du conte d’accéder à une véritable notoriété ?
Voilà l’une des questions importantes qui se pose aujourd’hui aux conteurs de tous horizons et de toutes générations. Trouveront-ils une réponse juste et raisonnée dans l’un des innombrables contes de sagesse de leurs répertoires ?
© Racontance 2013